Mathieu Blanchard se confie sur la possibilité de s'attaquer à deux ultra-trails mythiques. Une entrevue inédite, au-delà des médias traditionnels.
"Fais-tu partie de l'UTMB cette année ?" C'est la question que Mathieu Blanchard se fait poser plusieurs fois par jour depuis des mois. Régulièrement classé dans le top 5 de l'ultra-trail le plus prestigieux du monde depuis 2021, Mathieu n'a pas encore pris sa décision. Il garde ses options ouvertes, avec un objectif clair pour la saison 2024 : être au meilleur de sa forme pour la Diagonale des Fous en octobre. Un peu usé par la pression médiatique de Chamonix mais toujours envoûté par sa magie, Mathieu nous livre un échange sincère et sincère depuis son camp de base des Deux-Alpes. Membre fondateur de Näak, il parle avec une vraie confiance et nous livre une interview sans détours. Tu es un gagnant, mon bébé !
« Aujourd'hui, mon ambition pour l'UTMB est simple : donner le meilleur de moi-même et gagner. »
Les coachs mentaux apprennent de plus en plus aux athlètes à parler d’ambition plutôt que d’objectifs. Êtes-vous d’accord avec cette distinction ? Si oui, quelle est votre ambition pour cet UTMB ? S’agit-il d’une ambition en termes d’approche ou de résultat ?
Pour moi, ambition et objectif sont deux choses différentes mais qui doivent aller de pair. Elles se complètent. Quand j'étais encore un bébé ultra-trailer, mon objectif était de terminer l'UTMB. Aujourd'hui, mon objectif premier est d'être en forme et en bonne santé à l'arrivée. C'est seulement à ce moment-là que l'ambition entre en jeu. Pour moi, elle passe par le niveau de performance que je souhaite atteindre. Aujourd'hui, mon ambition pour l'UTMB est claire : donner le meilleur de moi-même et gagner. J'y ai participé quatre fois, j'ai fait quatre reconnaissances et j'ai obtenu deux podiums. Je ne peux pas dire le contraire. Je ne dis pas que je vais gagner, mais je m'entraîne et me prépare pour y parvenir.
« Je ne dis pas que je vais gagner, mais je m'entraîne et me prépare pour y parvenir. »
Gagner la Maxi-Race, dans un contexte très compétitif, a-t-il débloqué quelque chose dans votre quête de remporter l'UTMB ?
Oui, absolument. Prendre la tête quasiment dès le départ et la conserver jusqu'à la fin, c'est déjà quelque chose. J'ai prouvé que je pouvais gérer le fait de mener une course. Même si le syndrome de l'imposteur persiste après toutes ces années, j'ai fini par comprendre qu'on ne peut pas gagner l'UTMB par hasard. Si on regarde les vainqueurs passés, ils étaient confiants au départ. Ils se sont préparés à mener le plus grand ultra-trail du monde. Ils étaient prêts. Ils savaient comment agir et réagir. Car si on fait autrement, on se met dans la tête et on attend que les autres viennent nous rattraper parce qu'on pense être parti trop vite. Les boxeurs et les combattants de MMA m'inspirent à cet égard : ils entrent sur le ring avec la conviction qu'ils en sortiront vainqueurs. Ces derniers temps, je suis plus à l'aise avec cet état d'esprit. Il ne s'agit pas d'arrogance mais de transparence sur ma préparation mentale pour réaliser ce rêve.
« On ne gagne pas l'UTMB par hasard : les vainqueurs précédents étaient confiants sur la ligne de départ. »

En 2024, vous avez annoncé la Diagonale des Fous comme objectif principal, créant une incertitude quant à votre participation à l'UTMB...
Oui, c'est voulu. C'est très clair pour moi : la Diagonale est mon objectif principal, et l'UTMB est un plus. Je veux avoir la liberté de ne pas aller à Chamonix si je ne suis pas au meilleur de ma forme ou si ma participation pourrait compromettre mon ambition pour la Diagonale. Être au meilleur de ma forme ne signifie pas nécessairement être prêt pour l'UTMB, cela signifie être convaincu de pouvoir réussir les deux. Si les plans d'entraînement de mon entraîneur ne sont pas rentables début août, je ne prendrai pas le départ de la course à la fin du mois. C'est un accord que j'ai passé avec moi-même.
« Si les plans d'entraînement de mon entraîneur ne fonctionnent pas d'ici début août, je ne prendrai pas le départ de la course à la fin du mois. J'ai passé cet accord avec moi-même. »
Quand vous dites que l’UTMB n’est pas votre objectif principal, qu’est-ce que cela implique pour votre approche de l’événement ? En quoi sera-t-il différent des années où l’UTMB était la pièce maîtresse de votre saison ?
L'objectif est d'être au top fin août avec le moins de fatigue possible. Je vais gérer ça sur deux plans. Au niveau macro, j'ai décidé de voyager moins et de répondre à moins de sollicitations. Je suis installée aux Deux-Alpes, sereine. Les voyages et l'aventure sont merveilleux, mais ils peuvent nuire à la performance. Au niveau micro, j'ai modifié mon entraînement. J'ai fait beaucoup de ski-alpinisme cet hiver pour me régénérer et développer d'autres compétences. J'ai aussi embauché un coach, Adrien Séguret, qui me soulage mentalement. Je ne stresse plus du surentraînement ou du sous-entraînement, je fais confiance à ses conseils. C'est particulièrement important pour la phase de tapering pré-compétition, que j'ai eu du mal à gérer seule. Enfin, je me concentre sur la fraîcheur. Je pensais qu'il me fallait un bloc de 12 semaines pour être en forme pour l'UTMB. Maintenant, je suis plus détendue. Je sais par expérience et par la mémoire de mon corps qu'il me faut moins d'heures et de kilomètres pour atteindre mon plein potentiel. La fraîcheur mentale et physique sera la clé pour réussir cet incroyable double défi.
« J'ai changé mon entraînement. »

Qu’est-ce qui vous intimide le plus : la Diagonale ou l’UTMB ?
La Diagonale me fait moins peur que l'UTMB. Pourquoi ? Parce que les terrains accidentés, voire presque extrêmes, me font moins peur que les sentiers plus lisses et vallonnés. Ma formation d'ingénieur et mon esprit aventurier apprécient le côté résolution de problèmes des sentiers complexes. Plus un ultra-trail comporte de défis, plus j'y prends goût. J'ai confiance en ma capacité à les relever. De plus, la compétition est moins intense sur la Diagonale ; il n'y a pas 30 coureurs professionnels au départ. La Diagonale fera tout aussi mal, mais elle me fait moins peur ! C'est comme ça !
« La Diagonale fera tout aussi mal, mais elle me fait moins peur ! »
Au fond, est-ce que tu es vraiment d'accord avec le fait que l'UTMB n'est pas ton objectif principal cette saison ? N'est-ce pas une façon de relâcher un peu la pression ?
Absolument pas ! La Diagonale me passionne autant que l'UTMB ! En revanche, je ressens une pression énorme par rapport à l'UTMB. Par exemple, après ma victoire en Maxi-Race, les médias spécialisés n'arrêtaient pas de me demander : « Et alors Mathieu, l'UTMB ? ». C'est parfois difficile d'ignorer cette pression, surtout quand on n'était pas programmé pour être un athlète de haut niveau et qu'on a commencé plus tard. Alors oui, avoir la Diagonale comme objectif principal pourrait être un moyen d'atténuer cette pression médiatique. Peut-être qu'en me donnant plus de liberté pour échouer à l'UTMB, je me donne en fait plus de chances de réussir.
« En me donnant plus de liberté pour échouer à l'UTMB, je me donne en réalité plus de chances de réussir. »

N'as-tu pas peur que ce dilemme ressurgisse au mauvais moment, comme quelque chose que tu n'as pas reconnu et que tu t'es caché ? Par exemple, quelle sera ta décision au kilomètre 100 de l'UTMB si tu n'es pas dans la course pour répondre à tes ambitions ou si tu as l'impression que cela te coûte la Diagonale ?
(Un moment de réflexion) C'est une excellente question. J'avoue que je n'y avais pas encore pensé... Maintenant que tu me le dis, je me sens obligée d'y répondre avant le départ de l'UTMB, de faire le point en interne pour savoir comment réagir si cela arrive. (Un autre moment de réflexion) C'est clair que je ne veux pas m'épuiser pour la Diagonale, mais j'ai des valeurs fortes de respect de la course et des bénévoles qui rendent ces émotions exceptionnelles possibles... Je trouverais lâche d'abandonner. Mais je trouverais aussi cela raisonnable... Il faut que j'y réfléchisse ! (Sourires)
« Je trouverais ça lâche d'abandonner. Mais je trouverais ça aussi raisonnable... Il faut que j'y réfléchisse ! »
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